Les origines et hypothèses possibles du remuement de la queue chez le chien

Nous estimons le début de la domestication du chien il y a 35.000 ans à partir du loup de l’époque, dans un but de coopération mutuelle pour la chasse et la survie de l’homme et de l’animal. L’humain a été un acteur majeur dans la pression sélective du chien aboutissant aujourd’hui à plus de 344 races d’après la Fédération Cynologique Internationale (FCI).
Cette domestication a apporté de nombreux changements morphologiques et cognitifs chez nos amis à quatre pattes dont le remuement de la queue.
A ce jour, on dénombre pas moins de 13 genres et 37 espèces de canidés. Nous nous concentrons sur le genre “Canis” qui regroupe, entre autres, les chiens et les loups.
Bien que ces deux mammifères aient eu un ancêtre commun, si l’on compare nos chiens aux loups actuels, les relations et les stratégies de communication avec l’humain sont très différentes.
Et ceci est observable dès l’âge de 3 semaines comme ont pu le démontrer des chercheurs en 2005 avec une étude d’observation comportementale entre 11 chiots et 13 louveteaux dans laquelle des soigneurs se sont occupés de la même façon et dans un même intervalle de temps. Il en résulte que le répertoire comportemental chez les chiots était beaucoup plus tourné vers la communication avec l’humain : vocalises, remuement de queue, regard vers le visage humain. Alors que les louveteaux présentaient un comportement plus conflictuel, un comportement d’évitement plus prononcé et un remuement de queue beaucoup moins important.
Des études comparatives entre des chiens et des loups adultes ont montré une cognition et un comportement social bien plus prononcé dans la relation chien-humain que la relation loup-humain.
Le chien possède également un répertoire de communication très spécifique avec l’humain lui permettant de réaliser des tâches précises en collaboration avec l’humain et il est capable de se référer à lui pour trouver une solution à un problème insolvable par le biais du regard ou du pointage, contrairement au loup qui cherche à se débrouiller par lui même sans consulter l’humain familier à proximité.
Nous savons aujourd’hui que ces différences entre chiens et loups sont majoritairement d’ordre génétique, du fait de la domestication humaine qui a sélectionné les chiens à reproduire en fonction de leurs caractéristiques physiques et comportementales.
Concernant le remuement de queue, ce trait a-t-il été sélectionné volontairement ou non par l’humain ?
- la dépigmentation de la fourrure
- la réduction du squelette facial et la taille des dents
- les changements dans la taille et les proportions globales du corps
- l’émergence d’attributs physiques tels que les oreilles tombantes ou la queue enroulée
- la réduction de la taille du cerveau
- une diminution de l’agressivité et une docilité accrue
- une variation hormonale entraînant des changements comportementaux tels qu’une réduction de la réponse au stress
Le critère de sélection était la docilité : les renards argentés qui venaient se nourrir dans la main du soigneur et qui présentaient des signes de joie d’interagir avec l’homme étaient sélectionnés pour être reproduits.
Cette étude a été la première à démontrer un certain “syndrome de domestication”, témoignant d’une convergence sur les traits caractérisant une espèce domestique comparée à une espèce sauvage.
Une étude de 2019 a, cependant, remis en cause les résultats de la domestication des renards argentés, nuançant les conclusions, car les renards n’étaient pas sauvages lors des premiers accouplements sélectifs et avaient déjà commencé un processus d’apprivoisement des années auparavant dans une ferme à fourrure au Canada dont ils étaient originaires.
Il n’en reste que l’étude de 1999 a permis de mettre en lumière que lorsque l’on sélectionne un trait comportemental (docilité, gentillesse, non agressivité) comme cela a pu être le cas lors des débuts de la domestication du chien, on sélectionne également des caractères spécifiques, sous-produits de l’évolution.
En effet, en sélectionnant les chiens qui présentaient le moins d’agressivité envers l’humain, la façon dont ils remuent la queue a été sélectionnée de manière consciente (témoin de la docilité) ou inconsciente (les humains n’ont pas fait attention qu’un remuement de queue plus fréquent à leur contact était un témoin de docilité).
On peut supposer qu’Il pourrait donc y avoir un lien direct entre le processus de domestication et les changements observés au niveau du comportement et de l’anatomie du chien, modifiant ainsi le comportement de remuement de queue chez les chiens qui est plus fréquent chez les chiens actuels que chez les canidés non domestiques.
Une explication probable serait une modification de la crête neurale lors du développement embryonnaire, due aux changements des quantités d’hormones et de neurotransmetteurs présents dans l’embryon.
Ainsi, en sélectionnant un trait comportemental chez un individu, on sélectionne également tout un “profil de substance chimiques” qui a des répercussions sur divers traits phénotypiques, y compris l’anatomie de la queue.
En effet, le remuement de queue est un comportement stéréotypé, cyclique et rythmique. Nous savons aujourd’hui, à travers de nombreuses preuves multidisciplinaires, que les humains ont des capacités remarquables à percevoir et à produire des séquences rythmiques, en particulier des modèles isochrones où les évènements sont uniformément espacés dans le temps.
Les neurosciences cognitives montrent que le cerveau humain préfère les stimuli rythmiques, qui déclenchent des réponses agréables et engagent les réseaux cérébraux qui font partie du système de récompense.
Cette propension aux rythmes isochrones pourrait avoir conduit à la sélection humaine pour le remuement rythmique visible de la queue chez le chien, et cela pourrait expliquer pourquoi les chiens le présentent si souvent lors des interactions humain-chien.
Conclusion
La théorie du processus de domestication stipule qu’en sélectionnant les traits comportementaux de la docilité chez le chien, le remuement de queue aurait été également sélectionné comme sous-produit de l’évolution et serait le résultat d’un changement physiologique et anatomique chez le chien.
L’hypothèse du “remuement rythmique domestiqué” supposerait que les chiens dociles ont été assimilés à un remuement de queue plus fréquent, de façon stéréotypée, cyclique et rythmique, induisant du bien-être affectif chez l’Homme et le poussant inconscient à sélectionner ces individus pour la reproduction.
Enfin, cette dernière hypothèse mettrait également en lumière, l’idée reçue persistante qu’un chien qui remue la queue est un chien heureux. Si nous voyons un chien remuer la queue de façon rythmique, cela stimule notre cerveau, plus précisément notre système de récompense, et cela nous pousse inconsciemment à associer le remuement de queue comme quelque chose de positif pour nous alors que la réalité peut être bien différente chez le chien.
- “Early canid domestication : the farm-fox experiment”, Am. Science, 1999
- “A simple reason for a big difference : wolves do not look back at humans, but dogs do ”, Kubinyi et al. 2003
- “Species-specific differences and similarities in the behavior of hand-raised dog and wolf pups in social situations with humans”, Gacsi et al. 2005
- « The Paradox of Isochrony in the Evolution of Human Rhythm » Ravignani et Madison, 2017
- « Listening to Rhythmic Music Reduces Connectivity within the Basal Ganglia and the Reward System », Brodal, Osnes and Specht, 2017
- « The Evolution of Rhythm Processing » Kotz et al. 2018
- “The history of farm foxes undermines the animal domestication syndrome”, K.A Lord et al., 2019
- “Why do dogs wag their tails ?”, Leonetti et al. 2024